Charles Albert Libre comme l’air

Charles Albert Libre comme l’air

Il grimpe pieds nus, il est très fort, il a des cheveux à faire mannequin shampoing, il vit dans la forêt pour essayer des blocs extrêmes improbables à un seul mouvement… Charles Albert a tout d’une légende. Rencontre avec un grimpeur épris de liberté, en escalade comme dans la vie, a découvrir dans le film Barefoot Charles *.

Depuis combien de temps tu habites dans cette grotte ?

Ça fait quatre ans, mais j’y suis surtout quand il fait froid, parce que les conditions de grimpe sont les meilleures. J’aime bien être à côté de mes projets. Et puis c’est dans mon caractère, j’aime avoir de l’espace. En ce moment, j’essaye de l’aménager pour qu’elle soit plus confortable, pour pouvoir y rester même quand je ne grimpe pas. Sinon en été, je suis chez mon père. Et là, je reviens tout juste de chez un pote, vers Genève, parce qu’il habite pas loin d’un passage d’escalade que j’ai envie d’essayer.

Pourquoi tu as décidé de grimper pieds nus ?

Bah les chaussons ça pue et c’est moche et ça fait mal aux pieds. Ça fait trois raisons non négligeables !

Et ça change quoi dans l’escalade ?

En fait ça change la manière de grimper pour se faire moins mal. Au début, on ne sait pas trop ce qui fait mal aux pieds, mais souvent ça coupe, ça blesse, alors on apprend à placer son pied pour faire en sorte d’éviter la douleur. Et petit à petit, comme avec les doigts, on peut gagner en force et en dextérité.

Et pourquoi le bloc plutôt que la falaise ?

Parce que j’habite à Fontainebleau, c’est une bonne raison. Et le matériel, je trouve ça pénible. Avant, la corde servait seulement pour la sécurité, en cas de chute, ou pour être sûr de redescendre. Mais ça ne servait pas à gravir la paroi. Maintenant, sans corde dynamique ni spits bien vissés, jamais la voie n’existe ! Le matériel devient nécessaire à l’existence d’une voie. C’est là qu’on sort de l’escalade libre. Et moi, j’aime l’escalade libre.

Tu pratiques aussi le solo, alors ?

Occasionnellement. Je me cantonne à des trucs faciles, en dessous du 7. Ce qui est cool en solo, c’est qu’il n’y a pas de tracé défini, tu vas où tu veux, comme une balade sur la paroi.

Dans le film Barefoot Charles*, on découvre que tu es capable d’essayer pendant des années le même mouvement. Quel est le projet que tu as essayé le plus longtemps ?

C’est le bloc qu’on voit dans le film avec une inversée et deux mouvements. Ça fait à peu près cinq ans que je l’essaye.

Et un que tu as essayé pendant des années mais que tu as fini par réussir ?

Il y aurait La Révolutionnaire, 8C+, au Gros Sablon. J’ai commencé à l’essayer quand j’étais au lycée. À chaque fois je demandais à mon père de m’y amener ! Et puis je l’ai réussi l’année après le bac, en 2017.

Si tu n’y arrives pas, à quel moment tu vas te décider à renoncer ?

Si j’arrête d’essayer, c’est que je n’y vois plus d’intérêt et que ça ne m’amuse plus. Parce que ça ne m’apporte plus rien et que je ne progresse plus. Quand je vais essayer un de mes projets, c’est que dans ma séance je veux expérimenter quelque chose de spécifique. J’y retourne tant que je n’ai pas pu essayer correctement. Si ça ne marche pas, tant que je n’ai pas de nouvelle idée, je n’y retourne pas.

Dans le film aussi, on découvre que tu pratiques le chant. C’est ton côté musicien ?

Au départ j’ai été attiré par le chant pour l’escalade, car c’est une approche différente du corps que celle qui prévaut dans pas mal de sports, dont la grimpe, où la progression s’envisage surtout musculairement : tu essayes un mouvement, tu le répètes, tes muscles surcompensent, et tu progresses. Et tu vas essayer des choses de plus en plus dures pour devenir plus puissant. C’est assez primaire, comme approche. Dans le chant, si tu n’arrives pas à produire un son, tu auras beau essayer, tu ne progresseras pas. Cela ressemblait un peu aux passages que j’essayais. En chant, pour avoir une jolie voix, c’est une question de positionnement et de ressenti. C’est quelque chose dont mon corps avait naturellement besoin. Ce qui m’intéresse dans le chant, c’est cette histoire de posture. Ce n’est pas la musique…

Comment as-tu trouvé le film ?

Plutôt sympa. Je pensais que ça allait être beaucoup moins bien ! J’ai trouvé que ça me ressemblait assez, je me suis bien retrouvé dans l’esprit du film.

Quel message tu voulais que les spectateurs en retirent ?

[Silence] Je peux réfléchir ? [Re-silence] Je me suis dit que ça pourrait être bénéfique pour certains pour prendre du recul et se regarder autrement, avec une autre perspective. À un moment, je parlais à l’équipe de tournage d’un livre que j’apprécie, Le Neveu de Rameau, de Diderot, et je leur explique que c’est un dialogue entre un penseur et un gars un peu farfelu qui questionne des choses qu’on trouve évidentes. Et là, ils avaient trouvé leur fil conducteur parce qu’ils avaient précisément ressenti ça en me rencontrant, cette idée de « questionner l’évidence ». C’est ce qu’ils ont voulu faire partager au spectateur, et à travers le film d’amener les gens à se questionner sur des choses qui leur semblent certaines.

Est-ce qu’il y a eu des imprévus, des anecdotes pendant le tournage ?

On a eu un problème pour la réalisation du film, c’est qu’il manquait des images d’escalade ! En fait je grimpe assez peu, en une semaine je fais rarement plus de trois après-midis.

Et qu’est-ce que tu fais tout le reste du temps ?

Je ramasse du bois, je discute avec le boulanger du village, je vais voir des copains… Pour faire mes courses ça me prend une journée ! Deux heures de marche pour aller à la ville, et autant pour revenir. Mais je n’ai pas de boulot, alors j’ai le temps. Aujourd’hui, j’ai fait des étirements. J’ai décidé ça ce matin, parce que j’avais envie. Cette liberté de faire ce que je veux, c’est un luxe, qu’il faut prendre. En fait c’est plutôt un privilège, car un privilège, ça se prend, ça ne se donne pas.

Tu te vois vivre comme ça encore longtemps ?

Je réfléchis à devenir grimpeur pro. Mais je ne suis pas certain de le faire. Sinon pour rigoler j’avais aussi pensé à devenir mannequin. Pour rencontrer des jolies filles.

Où on te retrouve dans dix ans ?

Sûrement toujours autour de Fontainebleau, mais je ne serai plus en train de grimper des passages difficiles en escalade, ça ne sera plus mon plaisir d’essayer des projets, d’être dans le haut niveau. Je profiterai de la vie.

📷 Neil Hart, Stéphan Denys

*Barefoot Charles, au programme du REEL ROCK 16, en tournée en France du 3 au 20 octobre 2022.

Dates et billet ▶️ www.reelrock.fr

Swissway to Heaven : Cédric Lachat selon Guillaume Broust

Swissway to Heaven : Cédric Lachat selon Guillaume Broust

Guillaume Broust est réalisateur depuis plus de vingt ans. Il a à son actif deux cents  documentaires outdoor. Escalade, alpinisme, ski, parapente, il a tout filmé. Pendant seize ans, il a été le réalisateur officiel de Petzl et c’est lui qui a mis en images tous les Petzl Roc Trips. Avec autant d’expérience, on est curieux de lui demander comment il a vécu la réalisation de Swissway to Heaven, et les nombreuses journées de tournage avec Cédric Lachat, un grimpeur pour le moins atypique…

Qu’est-ce que la cordée Nina Caprez-Cédric Lachat a de particulier en grande voie que n’avaient pas d’autres cordées que tu as pu filmer dans ta carrière ?

Ça s’engueule beaucoup plus ! Ils ont vécu longtemps ensemble, c’est comme un vieux couple. Mais en paroi, ils arrivent à transcender leur histoire commune. Eux-mêmes étaient surpris de l’alchimie qui opère entre eux dans la voie. Plus sérieusement, avec eux, j’ai surtout vécu l’efficacité. Ce ne sont pas que des grimpeurs, ils ont un énorme bagage technique.

Equiper une voie comme WoGü de haut en bas pour l’équipe de tournage, c’est une grosse mécanique. Ça veut dire porter jusqu’à 400 mètres de corde statique jusqu’en haut de la voie, équiper tous les relais, installer les fractios, penser aux chutes de pierre, gérer les frottements de la corde, retirer toutes les cordes quand on fait les images au drone, puis les remettre en place… En plus il y avait deux caméras, donc deux fois plus de cordes. J’ai vraiment apprécié le côté hyper sécu, hyper carré. L’efficacité à la suisse ! Mais dans ce genre d’environnement, quand tu as 300 mètres de vide en dessous, tu apprécies que rien ne soit laissé au hasard !

Swissway to Heaven - Lautrebrunnen © Guillaume Broust

Qu’est-ce que Cédric, par sa personnalité, apporte à l’aventure humaine que partage toute l’équipe de réalisation d’un film comme ça ?

Cédric, c’est un caractère très marqué, hors normes, avec un côté loufoque très attachant qui apporte de la bonne humeur et de la rigolade, et en même temps hyper carré. S’il annonce qu’on part à 8h, ce n’est pas 8h02 ! C’est aussi quelqu’un de très généreux, qui donne sans compter, quitte à le payer de sa personne.

Pour le film, il a énormément travaillé pour nous, pour la réalisation. Il a constamment mis tout en œuvre pour notre sécurité, géré les autorisations de vol du drone, l’arrêt du train à mi-parcours à l’Eiger, pris tous les billets… C’est surtout à ce niveau que je ressens la différence avec d’autres athlètes avec qui j’ai pu travailler. Avec Cédric, c’est plus facile parce que tu te sens épaulé et secondé dans l’organisation. C’est une machine d’efficacité.

Portrait Cédric Lachat © Guillaume Broust
Swissway to Heaven - Cédri Lachat & Nina Caprez - Wogü © Guillaume Broust

Est-ce que tant d’investissement au niveau de l’organisation est compatible avec la performance en escalade ?

Justement non, cela met en péril la performance de grimpeur, qui est un volet à part entière du film. La plupart des grimpeurs dans les films sont en mode « performance », et ils sont focalisés pour mettre toutes les chances de leur côté pour la réussite de l’exploit. Cédric s’est donné les moyens de faire un beau film, et il a donné beaucoup pour la réussite du film.

Concrètement, ça veut dire consacrer aux images une semaine de beau temps sur des créneaux météo déjà rares, et s’ajouter par la même occasion une semaine de fatigue, parce que qui dit images dit portages, manips de corde, et toute cette assistance technique que fournit Cédric sans ménager sa peine. Inévitablement, tout cela prend de l’énergie sur ses essais de grimpeur.

Au bout d’une cinquantaine de jours de tournage sur deux ans, il l’a même payé en problèmes de santé. Il y a très peu de grimpeurs qui font ça.

Swissway to Heaven - Wogü © Guillaume Broust

Comment tu te sens quand tu démarres un nouveau film d’escalade en paroi ? Qu’est-ce que ça représente de particulier pour un réalisateur ?

Pour les films outdoor, qu’on soit en paroi, sur la neige, la glace ou dans les airs, on est très contraint par l’environnement. Il faut en permanence s’adapter aux conditions du milieu dans lequel on est, en trouvant des combines. Il faut aussi s’adapter à l’action, pour essayer d’attraper l’instant clé, la bonne blague… On est vraiment en mode documentaire. Est-ce qu’il va enchaîner ou pas, est-ce qu’il va tomber ou pas, tout ça se décide dans l’instant, on ne sait pas ce qui va se passer, et pourtant c’est ce que fait le sportif, finalement, qui va faire le film !

Pour les films d’escalade en particulier, on est beaucoup bridé par la technique. On est sur une corde, on ne peut pas en bouger, et d’ailleurs on n’en a pas trop envie ! Ça verrouille pas mal le cadre.

Pour Swissway to Heaven, ça nous a incités à travailler beaucoup sur le son. Les dialogues sont très présents, le spectateur entre au cœur des discussions en paroi. Mais pour cela il fallait que les grimpeurs acceptent d’avoir en permanence un micro-cravate. Et quand tu es à vingt grammes près, en limite de capacité dans des longueurs en 8c, ça ou le drone qui te tourne autour, ça rajoute encore un frein à la réalisation sportive pure…

Est-ce qu’il y a une signature Guillaume Broust ?

J’ai à cœur de raconter les histoires dans l’humour, avec de la joie. Il faut du second degré et de l’autodérision pour travailler avec moi ! Alors oui, il y a cette signature, l’idée de démystifier ces aventures et de rendre les protagonistes plus humains, en s’éloignant du cliché de héros. Avec une bonne dose d’humour, suisse ou belge, de préférence !

Ce qui se retrouve aussi dans mes films, c’est le travail autour de la dimension musicale. J’aime filmer des musiciens et réintégrer leur musique dans le film, ou faire travailler des musiciens indépendants pour ajouter quelque chose d’original au son, comme on l’a fait justement pour Swissway to Heaven.

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Swissway to Heaven - Lautrebrunnen © Guillaume Broust
Ouvrir la voie, les coulisses de la grimpe…

Ouvrir la voie, les coulisses de la grimpe…

Quand on débute l’escalade en falaise, arrive toujours un moment où l’on se demande : mais qui met les spits dans la montagne ? Est-ce que quelqu’un vient vérifier/remplacer ce bout de fer sur lequel je suspends ma vie ? Le film Le Jardin des Spits de Pema Vives répond à toutes ces questions avec de beaux portraits d’ouvreurs sévissant dans tout le pays.

Rencontre avec Pema qui nous dit tout sur son film.

Comment t’est venue l’idée du film ?

Pour son deuxième rassemblement annuel, « La Fête du Spit #2 », Greenspits a projeté le film Escalade Verbale, superbe documentaire sur l’escalade réalisé par Jean Kanapa en 1999. À la demande de Greenspits, j’ai réalisé un petit teaser en vue de cette projection, et de là est née l’envie commune de réaliser un documentaire qui ferait écho à Escalade Verbale, 20 ans plus tard.

Quant à ma motivation personnelle, j’ai commencé l’escalade assez tard, vers 28 ans, et je grimpais uniquement en falaise avec des potes débutants comme moi. Je n’avais alors aucune idée de comment étaient gérées les falaises, de qui équipait les voies, de comment fonctionnaient les topos… Je me disais genre que des gens étaient payés pour faire ça et que les clubs et municipalités géraient le truc, ou alors que les falaises sortaient de terre avec des spits déjà dessus. D’ailleurs, il faut pas trop en parler, mais j’ai tous les topos Rockfax du sud de la France sur mon étagère (rires) !

Et puis petit à petit, j’ai découvert l’envers du décor, au travers de rencontres et aussi en travaillant avec Greenspits, et je me suis dit qu’il était important de faire découvrir cet aspect de notre activité au plus grand nombre de grimpeurs et de les sensibiliser à ces problématiques, afin que chacun puisse avoir les clés en main pour devenir plus acteur de sa pratique, comme cela a été le cas pour moi. Et pour ça, quoi de mieux que de donner la parole aux équipeurs et d’écouter leurs précieux témoignages !

Comment s’est passé la production et réalisation de ce premier film ?

Pour le côté production, j’ai obtenu dès le départ une bourse du FODACIM, ce qui a été un élément décisif pour me lancer dans ce projet, et après ça avec Greenspits on a trouvé un premier partenaire assez vite, donc je savais que le film ne me coûterait rien, ce qui était déjà bien pour un premier film de cette ampleur ! Ensuite, on a eu la chance de trouver deux autres partenaires, et j’en profite d’ailleurs pour remercier tous nos partenaires, le FODACIM, Expérience Outdoor, Arkose et Climb’Up Fonds de Dotation !
Pour le côté réalisation, les trois premiers tournages qui ont eu lieu pendant l’été 2018 se sont vraiment bien déroulés et j’ai cru que l’affaire serait pliée à l’automne, mais j’étais loin du compte. Après ça, les galères ont commencé, entre la météo capricieuse, les soucis matériels, les incompatibilités d’agenda… Au final, j’ai tourné les dernières images pendant l’été 2020 ! Donc en tout, ça m’aura pris presque trois ans de la naissance du projet à son aboutissement.

Peux-tu nous parler plus précisément du concept du film ?

La réalisation du film n’était que le premier acte d’un projet imaginé en deux actes. Quand nous nous sommes lancés dans cette aventure avec Greenspits, notre volonté était de créer une cagnotte avec tous les bénéfices issus de la vente du film pour pouvoir ensuite financer des projets d’équipement et de rééquipement sur la base d’un appel à projets national. Bon, finalement, il n’y a pas vraiment eu de bénéfices, mais grâce à tous ceux qui ont participé au financement participatif et grâce aussi aux bénéfices réalisés lors de la Fête du Spit #5, on a quand même réussi à créer une cagnotte de 4 700 €. J’ai décidé de rejoindre Greenspits suite à la sortie du film car ça me tenait à cœur de mener cet appel à projets, et à l’heure où je vous parle, l’appel est terminé et 5 beaux projets vont pouvoir être soutenus, donc c’est vraiment génial ! Les détails arriveront bientôt sur la page Facebook de Greenspits.

Peux-tu nous présenter Greenspits et nous parler de la Fête du Spit ? En dehors de cet évènement, quelles sont les missions menées par cette association et comment le public peut-il participer ?

Greenspits, c’est une association environnementale et d’intérêt général qui œuvre pour la préservation des sites naturels d’escalade. C’est une asso qui a été fondée il y a 6 ans avec pour volonté de créer et d’accompagner une nouvelle communauté de grimpeurs investis et responsables. La Fête du Spit a été un bon point de départ et est devenue un moment fort de l’asso. C’est avant tout l’occasion de se rassembler autour de valeurs communes, de sensibiliser les grimpeurs au travers d’ateliers et de conférences, et de passer un super moment tous ensemble. Mais Greenspits mène également des actions tout au long de l’année, notamment en organisant des Clean up Days et en offrant un soutien matériel aux équipeurs locaux. L’asso vient aussi d’organiser sa deuxième semaine de transmission d’expérience autour du rééquipement, dont le but est autant d’apporter les bases théoriques que de transmettre nos valeurs aux grimpeurs désireux de participer à la pérennisation de notre activité. Sans oublier notre premier appel à projets. Bref, autant d’actions qui rencontrent un franc succès et ont pour vocation d’être pérennisées. Pour participer, rien de plus simple, il vous suffit d’adhérer à Greenspits et de rejoindre l’aventure !

Retour au film, est-ce que tu as des anecdotes de tournage à partager ?

Pour le premier tournage, je suis allé à Chambéry rencontrer Mathieu et sa compagne Amandine. Comme c’était une première pour moi et que je ne les connaissais pas du tout, j’étais naturellement bien stressé. Je me suis garé dans la petite pente devant leur maison et j’ai été accueilli par Mathieu. On a commencé à discuter tranquillement sur leur terrasse, puis Amandine est arrivée et m’a gentiment demandé si je n’avais pas des soucis de frein à main, car ma voiture était encastrée dans leur porte de garage ! Au final, plus de peur que de mal, mais comme entrée en matière, on a connu mieux (rires) !

Je pourrais aussi parler de l’interview de la dream team du Tarn où les objets sur la table avaient étrangement tendance à se déplacer tout seuls pour former de drôles de sculptures… Avis aux spectateurs attentifs !
Et sinon, de manière générale, je précise que toutes les scènes ont été tournées sur le vif, sans préparation, même celle où Armand sort la Dallas du garage à la main, sans aucun doute ma scène préférée du film (rires) !

De nombreux grimpeurs ouvreurs sont interviewés dans ton film, comment s’est fait le choix de ces protagonistes ?

Le choix n’a pas été simple évidemment, car les personnages passionnants ne manquent pas dans ce milieu. Je suis parti d’une liste d’environ 30 noms puis j’ai fait des recherches sur Internet pour affiner ma sélection. L’idée était d’avoir un panel d’équipeurs assez varié, tant au niveau de l’âge que de la zone géographique, mais aussi de présenter des fonctionnements différents, comme les équipeurs du Tarn ou Armand qui travaillent en étroite collaboration avec les collectivités et éditent des topos, les équipeurs d’Ubaye qui ont un fonctionnement plus associatif, ou encore des équipeurs comme Bruno, Antonin ou Mathieu qui sont plus des électrons libres.

Enfin pour être honnête, ça s’est surtout fait au feeling et je ne regrette vraiment pas mes choix ! Et surtout, je remercie chaleureusement les équipeurs qui ont tous répondu favorablement à ma sollicitation et accepté de me donner de leur temps, ce qui était vraiment une chance.

Pour l’anecdote, je me suis décidé à contacter Armand après avoir lu un portrait de lui sur le site d’Escalade-Alsace**, portrait juste mythique que je vous invite tous à aller lire !

Comment vois-tu l’avenir concernant les financements et l’entretien des voies en France ?

Sur ce point, je partage tout à fait le point de vue d’Olivier, d’ailleurs bien plus spécialiste que moi en la matière, quand il dit qu’il n’y aura pas une même formule applicable partout. Il y a des secteurs qui vont être entretenus bénévolement par les grimpeurs, d’autres qui vont être entretenus grâce à des clubs ou des associations, comme on peut déjà le voir aujourd’hui avec l’apparition d’associations locales qui mènent des actions de clean up, d’équipement ou de rééquipement, et enfin d’autres qui vont être entretenus par les collectivités quand il y a un enjeu touristique et que l’escalade les intéresse. Ça peut aussi être un mix de tout ça. En tout cas, c’est vraiment encourageant de voir toutes les nouvelles initiatives qui naissent aujourd’hui !

👉  Site de Pema Vives : www.pemavives.com

👉  Greenspits : www.greenspits.com et sur Facebook : @greenspits

🧗‍♂  Portrait d’Armand sur Escalade-Alsace

🎬  Lien Film Escalade Verbale :

« Swissway to Heaven », l’odyssée suisse

« Swissway to Heaven », l’odyssée suisse

Durant deux années, Cédric Lachat et ses compagnons de cordée (Nina Caprez, Mélissa Le Nevé, Tobias Suter, Fabien Dugit) relèvent le défi de gravir et filmer les itinéraires les plus difficiles de cinq parois mythiques en Suisse. En résulte Swissway to Heaven, un film de grimpe immersif, au ton décalé, qui met en relief l’histoire de l’escalade helvétique. En route vers ce « petit paradis » voisin, encore trop souvent méconnu !

Cédric Lachat est de ces sportifs de haut-niveau à qui l’on taperait volontiers la bise. Ou une belle claque dans l’épaule. Les yeux rieurs et un franc humour vissé au corps (de ceux capables de décorner les plus robustes de nos précieuses laitières), ce « petit Suisse du Jura » a 36 ans et grimpe depuis l’âge de 11 ans. À 12 ans, il débute les compétitions, à 13 ans, les circuits internationaux. C’est dire le potentiel du jeune homme. À 18 ans, Cédric devient grimpeur pro et multiplie les podiums en Coupes du Monde et autres championnats. Une dizaine d’années plus tard, il met un terme à la compétition pour se consacrer exclusivement à la falaise et aux grandes voies. « C’est à ce moment-là que j’ai commencé à réaliser des films pour partager ma passion avec le public », renchérit-il. 

Cédric Lachat et Tobias Suter sur l'ascension de "Odyssee" à l'Eiger - Juillet 2019 © Guillaume Broust

La naissance du projet

Cédric cherche une nouvelle vidéo à réaliser. « Quelque chose de différent » de ce qu’il a déjà réalisé comme films d’escalade et de grandes voies. Le grimpeur ne veut pas se répéter. L’idée qu’il a en tête : montrer les plus beaux massifs suisses en grimpant les grandes voies les plus difficiles « tout en ajoutant un truc en plus, un côté historique pour donner de la vie au film, faire la relation entre « l’avant » et le « maintenant » ». Donner une dimension humaine à l’aventure sportive.  Il écrit le dossier et lance le projet de réaliser les cinq grandes voies les plus difficiles de Suisse en un an… ou presque.

Les piliers du projet :

  • Partir de l’histoire de la montagne et de l’alpinisme pour comprendre l’essence de l’escalade libre.
  • Faire le récit en images de cette évolution passionnante pour expliquer à quel point la difficulté de ces lignes dépasse l’imaginaire des premiers ouvreurs
  • Réaliser une prouesse physique et sportive en réalisant toutes ces voies dans la même année
  • Montrer que la Suisse est un paradis pour les grimpeurs débutants et les plus expérimentés. Peu de gens savent que les grandes parois suisses regorgent de voies accessibles à tous.

 

Lauterbrunnen "The Fly" Cedric Lachat and Tobias Suter © Guillaume Broust

Topo des grandes voies & des massifs choisis

  • Eiger : « Odyssée », 8a+, 1400 m (avec Tobias Suter)
  • Lauterbrunnen : « The Fly », 8c, 550 m (avec Tobias Suter)
  • Gastlosen : « Yeah Man », 8b+, 330 m (avec Mélissa Le Nevé)
  • Wenden : « Zahir », 8b+, 300 m (avec Fabien Dugit)
  • Rätikon : « Wögu », 8c, 350 m (avec Nina Caprez)

Filmer et enchaîner, un vrai casse-tête

Faire découvrir ces parois et ces grandes voies mythiques tout en rendant accessible au plus grand nombre l’histoire et l’évolution de la grimpe helvète (à travers des images d’archives sur l’évolution du matériel ou des interviews avec des précurseurs tels que les ouvreurs Roger Schäli, Beat Kammerlander, Stephan Siegrist ou Claude Rémy), voilà le projet ambitieux de Cédric Lachat. Soit, comprenez entre les lignes, qu’il lui a fallu enchaîner les voies dans un timing serré avec tous les impératifs que demandaient la prise d’images et le tournage en paroi. Deux années de pur bonheur, mais de stress aussi.

« Réaliser un tournage en paroi, c’est déjà compliqué. Alors en réaliser 5 pour un même film, c’est un vrai casse-tête »

« J’étais constamment sous pression durant 2 ans. Réaliser un tournage en paroi, c’est déjà compliqué. Alors en réaliser 5 pour un même film, c’est un vrai casse-tête avec une pression financière énorme ! La météo ne fonctionne jamais comme on veut, il faut toujours s’adapter, changer les plans. S’adapter aussi au planning et aux impératifs de chacun. Mais le travail d’organisation et de coordination en équipe, cela fait partie de mon travail. Cela demande beaucoup d’expérience, c’est du stress permanent. Le projet ne tient souvent à rien… Mais il ne faut jamais rien lâcher et toujours se battre pour que ça fonctionne ! ».

En parallèle de séquences de grimpe extrêmes dans le 8ème degré donc, des ouvreurs emblématiques présentent l’histoire de l’équipement et l’évolution de la pratique, depuis l’alpinisme classique jusqu’à l’escalade moderne.

WoGü - Cedric Lachat and Nina Caprez © Guillaume Broust

La Suisse, paradis pour les grandes voies

La Suisse est un petit paradis pour les grimpeurs : elle regorge de parois exceptionnelles. Pourquoi parcourir le monde alors que son pays natal regorge de lignes magnifiques ? En tant qu’helvète, Cédric a voulu faire connaître au grand public ces lieux et l’aventure humaine qu’ils représentent à travers un film, en faisant appel aux meilleurs grimpeurs européens pour l’accompagner dans ce projet.

Transmettre l’amour de la grimpe comme la beauté de son pays chéri, voilà bien ce qui a dicté le propos de Cédric Lachat tout au long du projet. Alors, la Suisse, ça joue ou bien ? Le petit pays au drapeau rouge et blanc et à l’accent chantant, est souvent méconnu des Français, pourtant il a effectivement tout d’un petit « paradis » pour les grandes voies. Ce film en est un précieux exemple. « La Suisse est un pays assez cher et souvent les Français n’y pensent pas pour cette raison. Ensuite, la mode est de partir dans le sud ou plus loin pour grimper. Mais j’espère que le film va montrer que ce pays fait partie des plus beaux endroits au monde pour l’escalade de grandes voies ».

Un défi physique colossal

Si Swissway to Heaven était un vrai défi logistique et technique, le projet a aussi été une prouesse physique colossale qui a entamé les corps. Cédric l’avoue : « Je grimpe dans le haut niveau depuis gamin, je commence à en ressentir les traces. Le projet était fatiguant, je n’avais pas le droit de me reposer quand les douleurs étaient présentes. Il fallait finir le tournage. Mais cela fait partie de la vie de sportif professionnel. Notre corps est notre instrument de travail et quelquefois, il faut le pousser à ses limites…».

Mais le film n’en aucun cas entamé la confiance des uns envers les autres. Au contraire, avec des organismes mis à rude épreuve, le projet a resserré les liens : « À notre niveau et dans ce type de voie, on fait beaucoup de grosses chutes. Mais la chute va avec le niveau. On sait tomber et surtout assurer sans risquer de se faire mal ». Cédric renchérit : « Je n’aimais juste pas quand j’assurais Nina [Caprez] qu’elle prenne des vols gigantesques car à chaque fois je finissais la tête dans le relais… et il faut quand-même être très précis ».

« Quand on assure, on a la confiance de l’autre à 100 %, alors on n’a pas droit à l’erreur sur la précision d’assurage »

Swissway to Heaven - Wenden © Marc Daviet

Une plongée au cœur de la cordée

Swissway to Heaven est donc un film à la fois très personnel et très immersif : on a comme l’impression d’être au sein de la cordée, « au plus près » de la grimpe et des compagnons de Cédric : Nina Caprez, Mélissa Le Nevé, Tobias Suter ou encore Fabien Dugit.

Bim, bam, boum, nous voilà avec les mains moites et le cœur qui sprinte devant ces ascensions engagées sur des parois légendaires.

Les images ont été capturées avec brio par des grands noms de la grimpe et de l’outdoor : Mathis Dumas au cadrage, Marc Daviet à la photographie et Guillaume Broust à la réalisation. « Avec Guillaume, on se connaissait déjà pas mal, nous sommes des amis. Cela lui a permis de rentrer dans nos vies pour filmer chaque émotion. Il y a vraiment un esprit de confiance entre lui et nous. Des tournages en paroi, ça soude les personnes et l’équipe. On vit des moments forts, beaux, joyeux, compliqués, etcEnsuite pour le montage, Guillaume échangeait constamment avec nous, afin de trouver les bonnes idées et les bonnes directions pour le film ».

Grimper sans prise de tête

L’échange et la transmission, toujours, comme véritables moteurs. Mais aussi, l’humour et l’auto-dérision, comme meilleures armes : « Dans mes films, je veux que ce soit ma vraie personne ! Je suis un peu un clown de temps en temps. Mais c’est plus rigolo ! Il faut un peu d’humour dans la vie, surtout lorsque l’on passe son temps dans la difficulté. En tout cas, j’aime faire des films avec un mélange d’humour, de sérieux et de haut niveau. L’escalade m’ennuie, s’il n’y a que cela… donc j’essaie de trouver le juste milieu ».

L’après-film

Cet ultime challenge technique, logistique et sportif, relevé avec brio, Cédric Lachat est déjà sur un autre projet. Mais en spéléo cette fois, son autre credo : « Je suis en train de réaliser un nouveau film pour 2022 ou 2023. C’est un projet qui prend du temps. On réalise les images à 900 mètres sous terre ! Donc c’est toute une mission de descendre au fond… » Et pour l’escalade ? « On verra cet hiver les projets que je vais mettre en place. En attendant, il faut déjà que je m’occupe d‘organiser les projections de Swissway to Heaven… ». Un tantinet hyperactif, le mister Cédric ? Si peu. Quoi, vous ne l’avez pas vu ranger sa vaisselle dans son van ?!

Fly Spiti - John Stapels

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Une salle d’escalade pas comme les autres

Une salle d’escalade pas comme les autres

Point de ralliement du film Black Ice, qui embarque toute une bande de jeunes grimpeurs afro-américains issus de milieux défavorisés dans un trip cascade de glace, Memphis Rox est une salle d’escalade pas comme les autres. Installée dans un quartier pauvre de Memphis, ses portes sont ouvertes à tous. Pas d’abonnement, pas de tarif fixe… Ici, on vient et on paye ce qu’on peut. On peut aussi donner de son temps, être « mentor » pour les jeunes ou donner un coup de main à la salle. Un fonctionnement peu banal… pour une « clientèle » qui ne l’est pas moins !

Memphis Rox

Au-delà des différences

La salle d’escalade Memphis Rox est définitivement peu commune. Elle propose en effet aux jeunes défavorisés des quartiers, un sport qui les « challenge » physiquement et mentalement. De quoi occuper son temps libre autrement qu’en traînant dans la rue ou en restant devant un écran. À Memphis Rox, on grimpe, on dépasse ses peurs, on teste ses limites, on se rassemble et on trouve sa place dans le tissu social au-delà des différences…

Black Ice - Memphis Rox

Une histoire hors du commun

L’histoire de la salle elle-même ne manque pas d’originalité. Elle a été ouverte en 2018 par Tom Shadyac, réalisateur de longs métrages ayant fait fortune à Hollywood avec plusieurs comédies, principalement avec l’acteur Jim Carrey, comme Ace Ventura, Professeur Foldingue, Menteur Menteur… En 2007, suite à un grave accident de VTT, il fait le point sur sa vie (et en fait un film documentaire : I AM), revend sa villa et son jet, et se met à enseigner à l’université de Memphis dont il est originaire.

Grimpeur, il s’est mis à l’escalade quelques années auparavant pour se changer les idées. En cherchant comment aider les quartiers sud de sa ville, fortement impactés par le chômage et la violence des gangs, il lui vient l’idée de créer une salle d’escalade. Il n’y en a pas à Memphis à l’époque et il n’y a pas la moindre prise en résine à moins de deux heures de voiture. L’idée est de créer une salle pour les habitants du quartier Soulville, population majoritairement noire, mais aussi d’attirer les grimpeurs des quartiers voisins – pour la plupart blancs.

Avant de se lancer, Tom fait quand-même un test : il convie 18 gamins du quartier à un voyage au Colorado pour essayer l’escalade sur rocher. Il leur demande si ça leur plaît et s’ils aimeraient pouvoir continuer à grimper, mais près de chez eux. La réponse est unanime : « oui ».

Tom Shadyac - Black Ice - Memphis Rox

Un lieu d’échange culturel et social

Tom a investi 1,85 millions de dollars dans ce projet, qui est une réussite. Gérée par une équipe de jeunes grimpeurs enthousiastes, la salle propose, comme n’importe quelle salle privée, de pratiquer l’escalade. Mais au-delà de l’aspect sportif, à travers sa mission culturelle et sociale, Memphis Rox permet de briser les barrières de classe et de race dans une des villes les plus pauvres des États-Unis affectée par le lourd héritage de la ségrégation.

Financièrement, l’équilibre est fragile. La salle, qui emploie des jeunes du quartier avec un salaire supérieur au salaire minimum, ne peut pas vivre des abonnements. Elle organise donc régulièrement des levées de fonds. Pendant la crise du coronavirus, Memphis Rox a activement joué son rôle humanitaire en organisant des distributions de repas.

 Memphis Rox

Une source d’inspiration

Aujourd’hui, la salle fonctionne comme en a rêvé Tom Shadyac : elle permet aux gamins du quartier de penser à ce qui est possible et à ne plus voir que le négatif. Tous les problèmes du quartier n’ont pas été résolus, mais c’est un début prometteur qui commence déjà à inspirer d’autres communautés. Et comme le dit Shadyac : « Je suis quelqu’un qui croit que si l’histoire ne se finit pas bien, c’est qu’elle n’est pas finie ».

Tom Shadyac - Black Ice - Memphis Rox

L’histoire de Malik et Demond, au cœur de Memphis Rox

🧗‍♂ Pour en savoir plus sur la salle Memphis Rox :

https://www.memphisrox.org

Facebook : @memphisroxclimbing

Pour voir le travail de Malik www.malikthamartian.com