Swissway to Heaven : Cédric Lachat selon Guillaume Broust
Guillaume Broust est réalisateur depuis plus de vingt ans. Il a à son actif deux cents documentaires outdoor. Escalade, alpinisme, ski, parapente, il a tout filmé. Pendant seize ans, il a été le réalisateur officiel de Petzl et c’est lui qui a mis en images tous les Petzl Roc Trips. Avec autant d’expérience, on est curieux de lui demander comment il a vécu la réalisation de Swissway to Heaven, et les nombreuses journées de tournage avec Cédric Lachat, un grimpeur pour le moins atypique…
Qu’est-ce que la cordée Nina Caprez-Cédric Lachat a de particulier en grande voie que n’avaient pas d’autres cordées que tu as pu filmer dans ta carrière ?
Ça s’engueule beaucoup plus ! Ils ont vécu longtemps ensemble, c’est comme un vieux couple. Mais en paroi, ils arrivent à transcender leur histoire commune. Eux-mêmes étaient surpris de l’alchimie qui opère entre eux dans la voie. Plus sérieusement, avec eux, j’ai surtout vécu l’efficacité. Ce ne sont pas que des grimpeurs, ils ont un énorme bagage technique.
Equiper une voie comme WoGü de haut en bas pour l’équipe de tournage, c’est une grosse mécanique. Ça veut dire porter jusqu’à 400 mètres de corde statique jusqu’en haut de la voie, équiper tous les relais, installer les fractios, penser aux chutes de pierre, gérer les frottements de la corde, retirer toutes les cordes quand on fait les images au drone, puis les remettre en place… En plus il y avait deux caméras, donc deux fois plus de cordes. J’ai vraiment apprécié le côté hyper sécu, hyper carré. L’efficacité à la suisse ! Mais dans ce genre d’environnement, quand tu as 300 mètres de vide en dessous, tu apprécies que rien ne soit laissé au hasard !
Qu’est-ce que Cédric, par sa personnalité, apporte à l’aventure humaine que partage toute l’équipe de réalisation d’un film comme ça ?
Cédric, c’est un caractère très marqué, hors normes, avec un côté loufoque très attachant qui apporte de la bonne humeur et de la rigolade, et en même temps hyper carré. S’il annonce qu’on part à 8h, ce n’est pas 8h02 ! C’est aussi quelqu’un de très généreux, qui donne sans compter, quitte à le payer de sa personne.
Pour le film, il a énormément travaillé pour nous, pour la réalisation. Il a constamment mis tout en œuvre pour notre sécurité, géré les autorisations de vol du drone, l’arrêt du train à mi-parcours à l’Eiger, pris tous les billets… C’est surtout à ce niveau que je ressens la différence avec d’autres athlètes avec qui j’ai pu travailler. Avec Cédric, c’est plus facile parce que tu te sens épaulé et secondé dans l’organisation. C’est une machine d’efficacité.
Est-ce que tant d’investissement au niveau de l’organisation est compatible avec la performance en escalade ?
Justement non, cela met en péril la performance de grimpeur, qui est un volet à part entière du film. La plupart des grimpeurs dans les films sont en mode « performance », et ils sont focalisés pour mettre toutes les chances de leur côté pour la réussite de l’exploit. Cédric s’est donné les moyens de faire un beau film, et il a donné beaucoup pour la réussite du film.
Concrètement, ça veut dire consacrer aux images une semaine de beau temps sur des créneaux météo déjà rares, et s’ajouter par la même occasion une semaine de fatigue, parce que qui dit images dit portages, manips de corde, et toute cette assistance technique que fournit Cédric sans ménager sa peine. Inévitablement, tout cela prend de l’énergie sur ses essais de grimpeur.
Au bout d’une cinquantaine de jours de tournage sur deux ans, il l’a même payé en problèmes de santé. Il y a très peu de grimpeurs qui font ça.
Comment tu te sens quand tu démarres un nouveau film d’escalade en paroi ? Qu’est-ce que ça représente de particulier pour un réalisateur ?
Pour les films outdoor, qu’on soit en paroi, sur la neige, la glace ou dans les airs, on est très contraint par l’environnement. Il faut en permanence s’adapter aux conditions du milieu dans lequel on est, en trouvant des combines. Il faut aussi s’adapter à l’action, pour essayer d’attraper l’instant clé, la bonne blague… On est vraiment en mode documentaire. Est-ce qu’il va enchaîner ou pas, est-ce qu’il va tomber ou pas, tout ça se décide dans l’instant, on ne sait pas ce qui va se passer, et pourtant c’est ce que fait le sportif, finalement, qui va faire le film !
Pour les films d’escalade en particulier, on est beaucoup bridé par la technique. On est sur une corde, on ne peut pas en bouger, et d’ailleurs on n’en a pas trop envie ! Ça verrouille pas mal le cadre.
Pour Swissway to Heaven, ça nous a incités à travailler beaucoup sur le son. Les dialogues sont très présents, le spectateur entre au cœur des discussions en paroi. Mais pour cela il fallait que les grimpeurs acceptent d’avoir en permanence un micro-cravate. Et quand tu es à vingt grammes près, en limite de capacité dans des longueurs en 8c, ça ou le drone qui te tourne autour, ça rajoute encore un frein à la réalisation sportive pure…
Est-ce qu’il y a une signature Guillaume Broust ?
J’ai à cœur de raconter les histoires dans l’humour, avec de la joie. Il faut du second degré et de l’autodérision pour travailler avec moi ! Alors oui, il y a cette signature, l’idée de démystifier ces aventures et de rendre les protagonistes plus humains, en s’éloignant du cliché de héros. Avec une bonne dose d’humour, suisse ou belge, de préférence !
Ce qui se retrouve aussi dans mes films, c’est le travail autour de la dimension musicale. J’aime filmer des musiciens et réintégrer leur musique dans le film, ou faire travailler des musiciens indépendants pour ajouter quelque chose d’original au son, comme on l’a fait justement pour Swissway to Heaven.
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